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Page:Maufrais Aventures au Matto Grosso 1951.djvu/24

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Ce soir-là, j’étais assis en compagnie de quelques amis à la terrasse d’un petit café niché sous les piliers de marbre noir qui soutenaient un édifice de vingt étages et formaient une galerie couverte au croisement de l’Avenida Rio Branco et de la rua Santa Luzia.

Nous regardions en silence la grande fuite de la ville vers les faubourgs, goûtant alors davantage la quiétude envahissante, ouvrant de grands yeux jamais rassasiés à cette vie si différente de celle des dernières années, dont le luxe insolent nous faisait avoir honte de nos costumes râpés et étriqués d’Européens en déroute.

C’était l’heure à laquelle les « morros » qui cernent et découpent Rio de Janeiro s’éveillaient de leur torpeur, piqués de mille feux de bois qui ourlaient la ligne des frondaisons irrégulières couvrant le sommet des collines. L’heure à laquelle les noirs, enfin libérés de l’esclavage laborieux qui les occupait dans la grande cité, faisaient résonner les tam-tam tendus de peaux de chat et préparaient de mystérieuses « macumbas »[1] aux sarabandes échevelées.

Parfois, nous nous glissions dans les sentiers étroits qui mènent au cœur de ces étranges quartiers nègres où quelques feux épars accentuaient le relief des murs de torchis grouillant de cancrelas, hérissés de bambous énormes qui soutenaient les toitures croulantes, des cases escaladant le flanc des collines étagées, dominant parfois les gratte-ciel ou croupissant à leur ombre.

Sur des placettes herbeuses, des corps noirs et luisants avançaient pas à pas, trébuchant, très las, puis soudain

  1. Sorcellerie indigène.