Page:Maufrais Aventures en Guyane 1952.djvu/162

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propriétaire. Les jambes, par ailleurs, sont fines, parfois difformes, elles choquent avec la musculature du buste. Sans doute parce qu’ils forcent toujours dans leur canot à l’aviron ou au takari et marchent rarement dans les bois. L’atrophie est visible et générale.

Nous mangeons le matin vers dix heures et le soir, à la tombée de la nuit, avec parfois une poignée de couac dans l’après-midi. On se sent gonflé et mal à l’aise au sortir de ces repas et deux heures plus tard, l’estomac crie famine. On se lève avec le soleil, on se couche avec lui et les nuits sont pleines de rêves dantesques. Je vois des tas de gens connus plus ou moins intimement autrefois et le cadre de ceux-ci est en général le faubourg Varois oit je suis né, avec des maisons démantibulées par les bombardements et puis une atmosphère guerrière, des poursuites, une vie clandestine traquée, craintive de gens en uniformes, la peur, les courses éperdues. De nombreux épisodes de guerre remontent ainsi. Et pourtant, ici, la guerre est tellement loin de nos pensées. Quoique parfois je songe à ce qui pourrait arriver durant mon voyage, craignant un retour dans un monde en guerre, sans nouvelles. Ce soir, nous avons fait halte sur une berge à la pente assez raide, hâtivement déboisée. Déjà les Boschs ont installé un boucan et mettent poissons et lézards sur la clé de rondins. Je crois que quitter mes nouveaux amis sera pénible. Déjà, nous avons nos habitudes, nous formons une famille perdue dans la grande nature et cet isolement nous rapproche tellement que parfois j’en arrive à trouver étrange la couleur de ma peau.

Voilà six mois que j’ai quitté Paris ! Comme le temps passe vite ! Je n’ai pas encore réalisé le dixième de mes projets et la crainte me vient surtout que les pellicules