Page:Maufrais Aventures en Guyane 1952.djvu/249

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redouble — même jeu avec l’arrière-train, plus gras, plus savoureux encore… dernier bouillon… puis c’est fini, bien fini — et cependant, je me sens capable d’en manger encore une demi-douzaine de la même taille car ma faim est inextinguible.

Je crois que, de ma vie, je n’ai goûté chose aussi délicieuse que la tortue. Avant ce voyage, je n’avais jamais eu l’occasion d’en manger. Maintenant j’en raffole. J’ignore ce que cela peut donner, bien préparé avec du curry, du sel, et d’autres condiments mais, tel que, à la broussarde, dans son sang, dans son jus. Voilà une grande journée de plaisir en perspective dans ma randonnée solitaire. Il est vrai que ma grande préoccupation c’est de manger et faire la cuisine, la bien faire avec les moyens du bord, une grande joie que l’on s’accorde, une sorte de cinéma du dimanche, reposant des soucis de la semaine.

La préparation est ardue, pénible, mais qu’importe, la faim semble calmée et l’on se donne avec amour à son rôle de maître-queue. Pour préparer une tortue il ne faut pas avoir le cœur sensible car j’ai rarement vu animal aussi long à mourir. Coupée en deux, vidée complètement, sa tête se démenait, les yeux lucides, la gueule s’ouvrant et se fermant, cependant que le cou ridé se tendait désespérément. Coupant le cœur et le gardant dans la main, il bat longtemps encore et, cette chose vivante sortie de ce corps mort est une chose inouïe.

Gardant l’arrière-train pour le soir, le mettant enfin à rôtir puis à la casserole, voici la queue émergeant du bouillon qui s’agite et les pattes qui nagent, menaçant de renverser la casserole en équilibre sur les bûches. C’est un véritable assassinat et si les yeux étaient plus