Page:Maufrais Aventures en Guyane 1952.djvu/250

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expressifs et si je n’avais si faim, je n’aurais pas eu le courage de tuer une tortue.

Ce soir, quoique ma fringale ne soit pas apaisée, je me sens satisfait. Adossé à un tronc d’arbre, fumant la pipe et savourant le dernier bouillon, je goûte pleinement la paix du crépuscule — clair par extraordinaire après les pluies de la journée et le grondement incessant d’un orage lointain. Je vois un ciel coloré, un large pan de ciel, découvert par l’éclaircie de forêt où se niche le camp. Les cigales chantent, quelques oiseaux, prêts à dormir, les accompagnent en sourdine et la note dominante de quelques crapauds-buffles réclamant encore la pluie, mais le lézard « engamul » avec son tic tac de moulin à vent annonce la chaleur, le beau temps pour demain peut-être.

Comme la jungle est calme, sereine ! Il est nuit maintenant mais la lune inonde le chaume du carbet. J’ai allumé un bout de chandelle et j’écris, reposé, heureux d’avoir eu une bonne journée de chasse, le corps délassé par un dernier bain au torrent qui continue ses chœurs, allègre ce soir parce que mon cœur est à l’aise et qu’il bat librement.

Je songe aux dures journées qui vont suivre mais je sais que je vaincrai. Je coupe ma corde de tabac pour la nuit, je tends la bâche sur le sac.

Les oiseaux du soir, aux cris tristes, commencent à se faire entendre. Je vais aller dormir et demain, dès l’aube, je prendrai le chemin du bois pour manger comme aujourd’hui, reprendre des forces et être heureux le soir. D’un seul coup, une troupe de singes rouges commence son concert et c’est lui qui va bercer mon sommeil.