Page:Maufrais Aventures en Guyane 1952.djvu/258

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c’est très dur, le second un peu moins, au troisième, on éprouve seulement le besoin de mastiquer.

Mais il suffit de tirer un gibier et de le manquer pour qu’aussitôt ça aille mal car voici votre imagination en route… et j’aurais fait la soupe, et j’aurais fait rôtir… Oh ! souffrance !

Et puis l’on se dit : il faut tenir, ne pas perdre ses forces, et cette peur de s’affaiblir vous, fait davantage souvenir qu’il faut à tout prix manger, et votre faim en augmente d’autant. La plus triste époque du rationnement serait un paradis pour moi. Cependant, puis-je parler de la faim sinon qu’au titre d’une expérience particulière effectuée dans des conditions bien définies ? Je pense à ceux-là qui, eurent faim durant quatre ans derrière les barbelés. Je suis libre et, pensant à cela, j’ai honte de me plaindre, j’ai honte de ma faim.

Voici un mois que je vis sur la forêt vierge, vivant exclusivement de ses ressources et fournissant un effort. Or, je n’ai rien d’un athlète et suis à peine le type du Français moyen, de l’européen qui a eu ses habitudes, ses goûts, son petit train avec les divers aléas de ces vingt dernières années, par conséquent, voici démentis ceux, qui affirmaient gravement en sirotant leur punch : « Guyane ! climat meurtrier, l’Européen ne peut y vivre qu’en prenant beaucoup de précautions, mangeant des plats choisis, évitant l’effort : la chasse, par exemple, renouvelée trop souvent, qui déprime et finit par tuer d’épuisement ! »

Oh ! Guyane ! terre méconnue… Ce n’est pas toi, ni l’effort qui tuent l’Européen ; c’est lui qui se suicide et, comme il lui faut un prétexte, il te choisit comme bouc émissaire,