Page:Maufrais Aventures en Guyane 1952.djvu/259

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J’ai beau ne pas penser à la faim, me voici torturé par le souvenir des confitures de Maman… Je me souviens des oranges cueillies, des épluchures bouillies… Oh ! confitures de la maison !

Me voici parti à imaginer ce que je mangerais, de quelle manière… et sur mon sac est pendue la tête boucanée du « ouistiti-main-dorée » grosse comme une noix. Tant pis pour le souvenir… me voici incontinent en train de retirer la fourrure et sucer les os. Ça sent un peu fort… je crois même qu’il y a quelques vers blancs mais… j’ai si faim !

Et puis, il y a le bruit de la chute qui commence à devenir obsédant. Tout d’abord, j’ai cru à une arrivée de boy-scouts, à un camp installé tout proche du mien… Non ! C’est la chute, travaillant avec mon subconscient, qui fredonne de vieux refrains militaires, scouts, étudiants, un chœur de filles et de garçons que j’orchestre à volonté car il suffit que je pense un air… voici le cœur en branle et je n’ai plus qu’à me laisser marcher ; j’écris, je cuisine, je rêve, j’arrive de la chasse, je m’éveille, je m’en·dors : le disque tourne ; lassé, je change d’aiguille, docile, il obéit ; le phénomène auditif tourne à l’obsession quoique parfois j’y prenne un certain plaisir ; je peux enrayer l’aiguille et voici le même air, les mêmes paroles répétées mille fois sans que je songe le moins du monde à cette musique, étant fort occupé à une chose ou à l’autre et parfois, n’ayant pas le cœur de chanter.

Il est nuit et je n’arrive pas à trouver le sommeil. Je songe encore au canot… partir ! Il faut partir car ce coin de brousse désert est une malédiction. Plus je m’y attarde, plus je m’y affaiblis. Partir à pied… inutile d’y