Page:Maufrais Aventures en Guyane 1952.djvu/27

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puissants, un nom, au moins… Je suis R. MAUFRAIS, rien de plus.

Le départ est encore reculé à jeudi prochain ; je suis à la merci d’un homme qui, aimablement, m’offre passage à bord de son canot. Je suis à sa merci pour le départ, pour l’itinéraire. Ah ! si j’avais de l’argent… Toujours quelque chose à acheter au dernier moment.

Les billets de mille s’évaporent. Il en faudrait tellement encore ! J’arriverai au Brésil sans un sou.

Je n’ose plus aller chez le dentiste, impossible de le payer ; même chose chez le photographe chinois. Mon courrier lui-même est suspendu. Ça va mal.

J’ai tellement hâte de fuir. Toujours des soucis d’argent, ce n’est pas drôle. J’ai l’impression de perdre mon temps, justement à cause de cela. Je suis esclave de ma pauvreté.

Dans un mois, vingt-trois ans déjà !… Qu’ai-je fait de tangible ? Pourtant, ai-je le droit de me plaindre ? Les Dieux m’ont été favorables. Mes projets mettent un temps infini à se réaliser, mais ils se réalisent tout de même… Alors ?… Alors, on s’use, on se ronge le sang. L’autre jour, une dame charmante m’a donné trente-cinq ans ! Que paraîtrai-je à cet âge ? Jeune vieillard !  !

Cayenne dort. Une heure du matin, ma plume racle le papier. Boby sommeille. Pauvre Boby, te voilà désigné d’office pour m’accompagner aux Tumuc Humac. — Poil ras, blanc sale, ventre rosé, taches noirâtres sur ce rose indécent et maladif, l’œil alerte mais la gueule bâtarde avec des bajoues découvrant des crocs pas bien terribles —. On m’a dit que tu débusques l’Agouti (ou cochon des bois), on m’a dit que tu es un bon chien de garde.

Hier, tu as abandonné au chat ton pain trempé en gémissant comme un pleutre. Un chien te fait trembler.