Page:Maufrais Aventures en Guyane 1952.djvu/37

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peau, là que vous allez vous crever pour arriver au but de votre exploration, au gros morceau, diminué physiquement et moralement. Renoncez… Joignez seulement les sources !…

Combien d’autres l’ont répété ! Mon père est beauceron… sacré têtu ; j’ai décidé de faire ce trajet, je ne l’amputerai pas d’un pouce. Ce serait renoncer pour moi-même, face à ma conscience. Le travail serait incomplet. Je ferai les deux, je réussirai. Oui, je réussirai, Messieurs les pessimistes !

C’est curieux ce que l’on peut raconter de choses inutiles dans un journal intime. Si tout devait être publié, ce serait barbant. C’est la première fois que je me confie ainsi au cahier, comme une jeune fille en mal de printemps. Le carnet de route est plus concis, moins encombré, plus sec, mais ce voyage vaut ce cahier. Je le pense du moins.

La trépidation des moteurs scande le mot « vivre ».

L’estuaire du Maroni s’offre à l’étrave avec ses îles et ses affluents multiples. Le warf en forme de T aux planches disjointes chevauchées par les rails d’une draisine chargée de bois précieux, bungalows aux lignes élégantes, bouquets agrestes, fleurs rouges et capiteuses, cocotiers échevelés sur le ciel chargé de crépuscule. Le fleuve, lent, large, dont les eaux sales buttent la coque rongée d’herbes vivaces d’un paquebot éventré à quelques encablures de la berge. Albina aux toits rouges : nègres Boschs et Bonis, femmes aux seins lourds ; les ventres sont tatoués de boules en relief aux dessins mystérieux.

Le pyjama rayé flottant sur leur squelette surmonté d’un immense chapeau de paille, des forçats se hâtent de saisir les amarres du « St Laurent ».