Page:Maufrais Aventures en Guyane 1952.djvu/71

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En fait d’argent… cent francs en poche. En fait de vivres : deux boîtes de corned beef, deux boîtes de lait. La journée est lente à s’écouler. Je me morfonds, j’écris des notes mais la chaleur met un frein à l’inspiration.

Une vieille femme vient me proposer des bananes : un gramme d’or la douzaine. Je donne une boîte de corned beef en échange de six bananes et renvoie la vieille qui cherchait à m’extorquer du tabac et des médicaments.

Au pays de l’or, celui qui est sans argent n’a d’aide à escompter de personne. Payer ou crever de faim…

Il fait lourd ; il pleut ; je traîne mon cafard dans la boue glissante, je regarde le fleuve s’écouler lentement. Du village Saramaca monte de la fumée.

Je parcours les environs, quelques pistes mal tracées, des abatis misérables, des enclos démantibulés, un laisser-aller fantastique. Le village est déserté, rien ne se fait et l’effort est un vain mot. Chacun pour soi… Les habitants se plaignent qu’on ne fait rien pour eux, mais ils ne font rien pour eux-mêmes. Ils n’entretiennent pas les pistes reliant le village, ne construisent aucune passerelle pour traverser la crique, préférant patauger dans la vase ou glisser sur des arbres tombés. Les carbets se disloquent, dans le village pousse de l’herbe, la rivière menant à Didier est encombrée de bois mort que personne ne songe à scier pour faciliter les communications, par peur de faire un effort profitable à la communauté, par peur de l’effort tout court. Aucune initiative, même pas de pittoresque — un pays mort, sans âme, sans volonté, désespérant par cette apathie créole amusante au premier abord. Il est vrai que les villes du Lit-