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ŒUVRES POSTHUMES.

nous devons aimer le mieux à étaler sous les yeux jaloux du public.

Montrer au monde une jolie femme à son bras, c’est exciter, d’un seul coup, toutes les jalousies ; c’est dire : — voyez, je suis riche, puisque je possède cet objet rare et coûteux ; j’ai du goût, puisque j’ai su trouver cette perle ; peut-être même en suis-je aimé, à moins que je ne sois trompé par elle, ce qui prouverait encore que d’autres aussi la jugent charmante.

Mais quelle honte que de promener par la ville une femme laide !

Et que de choses humiliantes cela laisse entendre !

En principe, on la suppose votre femme légitime, car comment admettre qu’on possède une vilaine maîtresse ? Une vraie femme peut être disgracieuse, mais sa laideur signifie alors mille choses désagréables pour vous. On vous croît d’abord notaire ou magistrat, ces deux professions ayant le monopole des épouses grotesques et bien dotées. Or, n’est-ce point pénible pour un homme ? Et puis cela semble crier au public que vous avez l’odieux courage et même l’obligation légale de caresser cette face ridicule et ce corps mal bâti, et que vous aurez sans doute l’impudeur de rendre mère cet être peu désirable, ce qui est bien le comble du ridicule.

24 juillet. — Je ne quitte plus les deux veuves inconnues que je commence à bien connaître. Ce pays est délicieux et notre hôtel excellent. Bonne saison. Le traitement me tait un bien infini.

25 juillet. — Promenade en landau au lac de Tazenat. Partie exquise et inattendue, décidée en déjeunant. Départ brusque en sortant de table. Après une longue route dans les montagnes, nous apercevons soudain un admirable petit lac, tout rond, tout bleu, clair comme du verre, et gîté dans le fond d’un an-