Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/175

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- Il se fait tard. Allons prendre notre tasse de thé, puis nous rentrerons.

Elle se leva, suivie de tout son groupe, et ils passèrent dans la longue galerie vitrée entre deux parcs agrémentés de jets d'eau pendant le jour et de feux d'artifice pendant la soirée, immense café, salle à manger où déjeunent et dînent ceux qu'ennuie la table d'hôte des hôtels et qui ont de l'argent à profusion.

Là, subitement, autour des tasses où fumait le thé, une nouvelle conversation commença toute différente, familière, mondaine, sur un autre ton, une sorte de reprise de causerie interrompue, habituelle, toujours recommencée, qui semblait accuser entre ces femmes d'origines si diverses, entre ces hommes de races si disparates, la bizarre franc-maçonnerie d'une haute classe unique et sans patrie. Autour d'eux, la foule passait, grouillait, la foule vulgaire, banale, agitée, la foule des humbles et des communs, même riches et connus. Ils n'en étaient plus, eux! Ils ne s'en occupaient plus, ne la voyaient plus. Ils venaient de rompre avec elle, de se séparer d'elle inostensiblement pour se réunir entre eux, autour d'une table de café, comme ils eussent fait dans un salon princier.

Ils parlaient d'eux à présent, des gens de leur classe, non des présents, mais des absents, Français, Russes, Italiens, Anglais, Allemands, qu'ils semblaient connaître comme des frères, comme les habitants d'un même quartier, car tous les noms prononcés, dont Mariolle ignorait la plupart, semblaient familiers à toutes les oreilles. Il les écoutait avec curiosité, un peu dépaysé au milieu d'eux, mêlé tout à coup à ce petit peuple aristocrate sans frontières, à cette élite internationale du high-life qui se connaît, se reconnaît, et se retrouve