Page:Maupassant - Le Horla, OC, Conard, 1909.djvu/119

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— Ça m’est arrivé hier dans la journée... vers quatre heures... ou quatre heures et demie. Je ne sais pas au juste. Tu connais bien mon appartement, tu sais que mon petit salon, celui où je me tiens toujours, donne sur la rue Saint-Lazare, au premier ; et que j’ai la manie de me mettre à la fenêtre pour regarder passer les gens. C’est si gai, ce quartier de la gare, si remuant, si vivant... Enfin, j’aime ça ! Donc hier, j’étais assise sur la chaise basse que je me suis fait installer dans l’embrasure de ma fenêtre ; elle était ouverte, cette fenêtre, et je ne pensais à rien ; je respirais l’air bleu. Tu te rappelles comme il faisait beau, hier !

Tout à coup je remarque que, de l’autre côté de la rue, il y a aussi une femme à la fenêtre, une femme en rouge ; moi j’étais en mauve, tu sais, ma jolie toilette mauve. Je ne la connaissais pas cette femme, une nouvelle locataire, installée depuis un mois ; et comme il pleut depuis un mois, je ne l’avais point vue encore. Mais je m’aperçus tout de suite que c’était une vilaine fille. D’abord je fus très dégoûtée et très choquée qu’elle fût à la fenêtre comme moi ; et puis, peu à peu, ça m’amusa de l’examiner. Elle était accoudée, et elle guettait les hommes, et les hommes aussi la regardaient, tous ou presque tous. On