Page:Maupassant - Mont-Oriol, éd. Conard, 1910.djvu/219

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bonheur mystérieux de la sentir s’approcher, de la voir venir vers lui, pour lui.

Elle allait à petits pas, sans oser l’appeler, inquiète de ne point le découvrir encore, car il restait caché sous un arbre, et troublée par le grand silence, par la claire solitude de la terre et du ciel. Et, devant elle, son ombre s’avançait noire et démesurée, la précédant de loin, semblant apporter vers lui quelque chose d’elle, avant elle-même.

Christiane s’arrêta et l’ombre aussi resta immobile, couchée, tombée sur la route.

Paul fît rapidement quelques pas, jusqu’à la place où la forme de la tête s’arrondissait sur le chemin. Alors, comme s’il eût voulu ne rien perdre d’elle, il s’agenouilla et, se prosternant, posa sa bouche au bord de la sombre silhouette. Ainsi qu’un chien assoiffé boit, rampant sur le ventre, au bord d’une source, il se mit à baiser ardemment la poussière en suivant les contours de l’ombre bien-aimée. Il allait ainsi vers elle, sur les mains et sur les genoux, parcourant de caresses le dessin de son corps comme pour recueillir de ses lèvres l’image obscure et chère étendue sur le sol.

Elle, surprise, un peu effrayée même, attendit qu’il fût à ses pieds pour s’enhardir à lui parler ; puis, quand il eut relevé la tête,