Page:Maupassant - Mont-Oriol, 1887.djvu/182

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La Roche-Pradière, avant le village, auprès des châtaigniers. Personne ne remarquera votre absence en ce moment. Venez vite me dire adieu, puisque nous nous séparons demain.

Elle murmura :

— Dans un quart d’heure j’y serai.

Et il sortit pour ne plus rester au milieu de cette foule qui l’exaspérait.

Il prit, à travers les vignes, le sentier suivi un jour, le jour où ils avaient regardé ensemble la Limagne pour la première fois. Et bientôt il fut sur la grand’route. Il était seul, il se sentait seul, seul par le monde. L’immense plaine invisible augmentait encore cette sensation d’isolement. Il s’arrêta juste à l’endroit où ils s’étaient assis, où il lui avait déclamé les vers de Baudelaire sur la Beauté. Comme c’était loin, déjà ! Et, heure par heure, il retrouva dans son souvenir tout ce qui s’était passé depuis. Jamais il n’avait été aussi heureux, jamais ! Jamais il n’avait aimé aussi éperdument, et, en même temps, aussi chastement, aussi dévotement. Et il se rappelait le soir du gour de Tazenat, voici un mois ce jour-là même, le bois frais, mouillé de lumière pâle, le petit lac d’argent et les gros poissons qui frôlaient sa surface ; et leur retour, quand il la voyait marcher devant lui, dans l’ombre et dans la clarté, sous les gouttes de clair de lune qui lui tombaient sur les cheveux, sur les épaules et sur les bras à travers les feuilles des arbres. C’étaient les heures les plus douces qu’il eût goûtées de sa vie.