Page:Maupassant Bel-ami.djvu/396

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

couchée dedans. Puis il le referma, et se mit au lit en haussant les épaules.

L’Officiel du ier janvier annonça, en effet, la nomination de M. Prosper-Georges Du Roy, publiciste, au grade de chevalier de la Légion d’honneur, pour services exceptionnels. Le nom était écrit en deux mots, ce qui fit à Georges plus de plaisir que la décoration même.

Une heure après avoir lu cette nouvelle devenue publique, il reçut un mot de la Patronne qui le suppliait de venir dîner chez elle, le soir même, avec sa femme, pour fêter cette distinction. Il hésita quelques minutes, puis jetant au feu ce billet écrit en termes ambigus, il dit à Madeleine :

— Nous dînerons ce soir chez les Walter.

Elle fut étonnée. — Tiens ! mais je croyais que tu ne voulais plus y mettre les pieds ?

Il murmura seulement : — J’ai changé d’avis.

Quand ils arrivèrent, la Patronne était seule dans le petit boudoir Louis XVI adopté pour ses réceptions intimes. Vêtue de noir, elle avait poudré ses cheveux, ce qui la rendait charmante. Elle avait l’air, de loin, d’une vieille, de près, d’une jeune, et, quand on la regardait bien, d’un joli piège pour les yeux.

— Vous êtes en deuil ? demanda Madeleine.

Elle répondit tristement : — Oui et non. Je n’ai perdu personne des miens. Mais je suis arrivée à l’âge où on fait le deuil de sa vie. Je le porte aujourd’hui, pour l’inaugurer. Désormais je le porterai dans mon cœur.

Du Roy pensa : — Ça tiendra-t-il, cette résolution-là ?

Le dîner fut un peu morne. Seule Suzanne bavardait sans cesse. Rose semblait préoccupée. On félicita beaucoup le journaliste.

Le soir on s’en alla, errant et causant, par les salons