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les élèves d’ingres

petit prodige fut aussi précisément l’enfant prodigue sur qui pleura M.  Ingres, et qui ne revint jamais. « Ne me parlez jamais de cet enfant-là », disait plus tard M. Ingres.

Toutefois il demeura fidèle à travers les excès de l’orientalisme au culte de la beauté selon les Grecs : les féeries de la palette romantique ne lui firent jamais perdre le sens de la forme et de la ligne, Il ne se lassa pas d’atteindre au style. L’influence d’Ingres, si visible dans ses œuvres de jeunesse, persista jusqu’à la fin, sinon dans ses tableaux de chevalet, dans les sujets mauresques, du moins dans ses dessins à la mine de plomb, si expressifs, purs, et dans les plus parfaites de ses peintures monumentales.

Aussi bien, Chassériau était trop ardent, trop inquiet pour n’hésiter pas entre la Tradition et le Romantisme. S’il subit les volontés ingristes à un âge où il serait à souhaiter que tous les jeunes peintres fussent soumis à une discipline aussi intelligente, il manifestait dès 1834 des velléités d’indépendance avec la Suzanne au bain du Louvre, et la Vénus marine. M. Ingres en partant pour Rome en 1834 lui avait offert le séjour à la Villa Médicis. Ce n’est qu’en 1840 qu’il fit son voyage d’Italie. Il peint alors l’extraordinaire portrait de Lacordaire en retraite à Sainte-Sabine. Il revient à Paris, toujours hésitant, et donne la même année (1843), c’est le point culminant de cette première période, le portrait des Deux Sœurs et la chapelle de Saint-Merry.

Après l’Apollon amoureux de Daphné (1845) et la série d’Othello, il expose le Khalife de Constantine. La rupture est désormais complète entre le Maître et l’élève. Il a pensé trouver une conciliation entre la couleur robuste de Delacroix, et le dessin décoratif d’Ingres. À la vérité, il réalise alors son œuvre capitale, les fresques de la Cour des Comptes, 1844-48.

Ces fresques, qui ne sont que des peintures à l’huile sur enduit, ont subi, on le sait, toutes les vicissitudes. Après avoir échappé en partie à l’incendie de la Commune, elles furent, lors de la démolition des Ruines, offertes par la Compagnie d’Orléans à un comité composé de MM.  Bénédite, R. Marx, Ary Renan, Ephrussi, Arthur Chassériau, qui réunit les fonds nécessaires à l’enlèvement des fragments de murs