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DÉFINITION DU NÉO-TRADITIONNISME

isolant des autres : chacune vous donnera sinon une illusion complète, du moins un aspect prétendu vrai de nature. Vous verrez dans chaque tableau ce que vous aurez voulu y voir.

Or s’il arrive qu’on voie, par effort de volonté, la « nature » dans des tableaux, la réciproque est vraie. C’est une tendance inéluctable chez les peintres, de ramener les aspects perçus dans la réalité, aux aspects de peinture déjà vus.

Impossible de déterminer tout ce qui peut modifier la vision moderne, mais il n’est pas douteux que la tourmente d’intellectualité, par où passent la plupart des jeunes artistes, n’arrive à créer de très réelles anomalies optiques. On voit très bien tels gris violets, quand on a cherché longtemps s’ils sont, ou non, violets.

L’admiration irraisonnée des tableaux anciens où l’on cherche, puisqu’il faut les admirer, des rendus consciencieux de « nature » a certainement déformé l’œil des maîtres de l’École.

De l’admiration des tableaux modernes, qu’on étudie dans le même esprit, et par engouement, proviennent d’autres perturbations. A-t-on remarqué que cette indéfinissable « nature » se modifie perpétuellement, qu’elle n’est pas la même au salon de 90 qu’aux salons d’il y a trente ans, et qu’il y a une « nature » à la mode — fantaisie changeante comme robes et chapeaux ?

IV

Ainsi se forme chez l’artiste moderne, par choix et synthèse, une certaine habitude éclectique et exclusive, d’interpréter les sensations optiques — qui devient le criterium naturaliste, l’ipséité du peintre, ce que les littérateurs, plus tard, appellent le tempérament. C’est un mode d’hallucination où l’Esthétique n’a rien à voir, puisque la raison s’y fie, et ne contrôle pas.

V

Lorsqu’on dit que la Nature est belle, plus belle que toutes