Page:Maurice Denis Théories (1890-1910)-1920.djvu/29

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rière, l’école de Monet. Ici, pas de théoriciens aux allures d’apôtres, mais des disciples patients et renseignés. Ailleurs les bons critiques indulgents se disent l’un à l’autre : ce sont des chercheurs, attendons le chef-d’œuvre. Ici, le chef-d’œuvre est fait : nous l’avons vu l’année dernière, nous l’avons vu chez Durand-Ruel, dans quelque galerie. Le chef d’œuvre c’est Monet, Degas, Cézanne, Pissaro, Renoir : les vieux maîtres, inconnus du public des Vernissages, à qui l’on emprunte et leur art et leurs visions, sans même se soucier, tel un maladroit économe, de faire fructifier le bien du maître.

Tous ces pastiches grimacent, et fatiguent ; c’est le même malaise qu’au théâtre, des scènes classiques mal interprétées. Et ce sont les bons peintres qui en souffrent. À peine devant le Carrière, avons-nous eu une émotion complète. Nous pressentions dans les fonds que nous voyions mal des richesses de poésie ; et nous ne goûtions que la précision synthétique, l’arrangement rare, la noble tenue de l’ensemble. C’est, croyons-nous, « en avoir contemplé la fausse face, en avoir ouï le discord ».

Se plaindre du verre, après tout le monde, parce qu’il obstrue et reflète ? Mais le verre ne nuit jamais aux œuvres délicates lorsqu’elles sont placées dans un éclairage convenable : c’est le jour d’exposition qu’il faut bien décidément condamner. Le verre éloigne et dissimule : il renferme dans l’impénétrable la précieuse pensée du peintre qui toujours s’étonne d’être livrée à tous les regards. Les harmonies bruyantes et sans pudeur s’étalent volontiers à nu ; on n’imagine pas sous verre les portraits de Rubens : mais les Rembrandt, les Vinci, les Primitifs ? Concevez sans un verre, cette chose exquise entre toutes, la Galathée de Gustave Moreau : certes nous sommes plusieurs qui n’oserions la regarder.

Il est vrai que le verre de Carrière fait apercevoir, dans l’intimité de la Mère attendrie et souffrante, la toile moderne et mondaine de M. Béraud. Ce qui est regrettable, quoique nous n’ayons nul désir de maltraiter ce tableau si contesté, lequel a du moins le mérite de trahir des préoccupations chrétiennes et humanitaires, un état d’esprit qu’il faut res-