Page:Maurice Joly - Les Affames - E Dentu Editeur - 1876.djvu/306

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homme lui dire : Maintenant vous n’êtes plus bon à rien, allez-vous-en à tous les diables !

Tuerait-il Georges Raymond avant les deux jours réclamés ? Telle était la seule question qu’Hector agitait en ce moment dans son esprit. Pervers, mais non dégradé, il était incapable de supporter le poids du déshonneur. Son âme, d’une trempe à toute épreuve, n’admettait pas comme celle de Georges les découragements. Sa vengeance une fois accomplie, il savait ce qu’il avait à faire.

Le lendemain du jour néfaste où de si étranges choses s’étaient passées, Georges Raymond se leva à sept heures du matin. À travers des défaillances fréquentes, il était doué d’une force de résistance qu’il n’eût probablement jamais soupçonnée sans les épreuves incroyables auxquelles le hasard l’avait soumis. Jetant le défi d’Oreste à l’implacable fortune, il s’étudia au sarcasme comme le sauvage qui attend la mort des mains de son ennemi. Il alla acheter chez Devisme un revolver et passa trois heures dans un tir des Champs-Élysées à casser des poupées. Assez habile chasseur autrefois, il finit par toucher le but presque à tous les coups.

— Encore un jour comme cela, dit-il, et je serai à deux de jeu avec le vicomte.

Il savait qu’il ne trouverait Isabeau qu’à une heure. À midi et demi, il se dirigea vers l’avenue Gabrielle où demeurait la comtesse de Tolna. En traversant les Champs-Élysées, il rencontra le marquis qui précédait de quelques pas Cambrinus, que l’on voyait gesticuler à vingt pas au milieu de quatre ou cinq autres personnes, parmi lesquelles Georges reconnut Lecardonnel. Ces messieurs venaient de déjeuner dans un restaurant