Page:Maurice Leblanc (extrait L’homme à la peau de bique), 1999.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Elle dura peu. Presque aussitôt le paysan perçut deux hurlements horribles, qui s’achevèrent du même coup en plaintes d’agonie. Et puis le silence, le silence absolu.

Terrifié, il prit la fuite, abandonnant son fusil.

Or le lendemain, on ne retrouva aucun des deux chiens. On ne retrouva pas non plus la crosse du fusil. Quant au canon, il était fiché en terre, tout droit, et il y avait, dans un de ses tubes, une fleur, une colchique d’automne, cueillie à cinquante pas de là !

Qu’est-ce que cela signifiait ? Pourquoi cette fleur ? Pourquoi toutes ces complications dans le crime ? Pourquoi ces actes inutiles ? La raison se troublait devant de telles anomalies. Ce n’est qu’avec une sorte de crainte que l’on se risquait dans cette aventure équivoque. On avait l’impression d’une atmosphère lourde, étouffante, où il était impossible de respirer, qui voilait les yeux, et qui déconcertait les plus clairvoyants.

Le juge d’instruction tomba malade. Au bout de quatre jours, son remplaçant avoua que l’affaire lui semblait inextricable. On arrêta deux chemineaux qu’on relâcha sur-le-champ. On en poursuivit un troisième qu’on ne put rejoindre et contre lequel, d’ailleurs, on ne possédait aucune preuve. Bref, ce n’était que désordre, obscurité et contradiction.

Un hasard conduisit à la solution, ou plutôt détermina un ensemble de circonstances qui conduisirent à la solution. Un simple hasard. Le rédacteur d’une grande feuille parisienne envoyé sur place résumait son article en ces termes :

« Par conséquent, je le répète, il faut attendre la collaboration du destin. Sans quoi, on perd son temps. Les éléments de vérité ne suffisent même pas à établir une hypothèse plausible. C’est la nuit épaisse, absolue, angoissante. Il n’y a rien à faire. Tous les Sherlock Holmes du monde n’y verraient que du feu, et Arsène Lupin lui-même, passez-moi l’expression, donnerait sa langue au chat. »

Or, le lendemain du jour où parut cet article, le journal publiait le télégramme ci-après :

« Ai quelquefois donné ma langue au chat, mais jamais pour des bêtises. Le drame Saint-Nicolas est un mystère pour enfants en nourrice. Arsène Lupin. »

La dépêche fit du bruit. On se la rappelle, et on se rappelle les polémiques que suscita aussitôt l’intervention du célèbre aventurier.