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Page:Maurice Leblanc (extrait L’homme à la peau de bique), 1999.djvu/11

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Intervention réelle ? On en doutait. Le journal lui-même se méfiait et prenait ses précautions.

« À titre de document, ajoutait-il, nous insérons ce télégramme, qui est certainement l’œuvre d’un farceur. Arsène Lupin, quoique passé maître en mystification, ne montrerait tout de même pas cette outrecuidance un peu puérile. »

Quelques jours s’écoulèrent. Chaque matin, la curiosité, déçue, devenait plus vive. Allait-on savoir ? Enfin le journal publia cette fameuse lettre si précise, si catégorique, où Arsène Lupin donnait le mot de l’énigme. La voici dans son intégralité.

« Monsieur le directeur,

En me mettant au défi, vous me prenez par mon faible. Provoqué, je réponds.

Et tout de suite, j’affirme à nouveau : le drame de Saint-Nicolas est un mystère pour enfants en nourrice. Je ne connais rien qui soit aussi naïf, et la preuve de cette simplicité sera justement la brièveté de ma démonstration.

Elle tient, cette démonstration, en ces quelques mots :

Quand un crime semble échapper à la mesure ordinaire des choses, quand il semble hors nature, stupide, il y a bien des chances pour qu’il ne puisse trouver son explication que dans des motifs extraordinaires, extra-naturels, extra-humains. Je dis qu’il y a bien des chances, car il faut toujours admettre la part de l’absurdité dans les événements les plus logiques et les plus vulgaires. Mais là, en vérité, comment ne pas voir ce qui est, et ne pas faire entrer en ligne de compte l’absurdité et le disproportionné ?

Dès le début, le caractère très net d’anomalie me frappa. Les zigzags d’abord, l’allure maladroite de l’automobile, que l’on eût dit menée par un novice. On a parlé d’un ivrogne ou d’un fou. Supposition justifiée. Mais ni la folie ni l’ivresse ne peuvent provoquer l’exaspération de force nécessaire pour transporter, et surtout en si peu de temps, la pierre qui écrasa la tête de la malheureuse femme. Pour cela il faut une puissance de muscles telle que je n’hésite pas à y voir un second signe de cette anomalie qui domine tout le drame.

Et pourquoi le transport de cette pierre énorme, quand il suffisait d’un caillou pour achever la victime ? Et comment d’un autre côté, dans la culbute effroyable de la voiture, l’assassin ne fut-il pas tué ou tout au moins réduit à une immobilité temporaire ? Comment a-t-il disparu ? Et pourquoi, ayant disparu,