On ne voyait pas Béchoux, mais on l’apercevait non loin de la maison, qui fumait en compagnie de la jolie Charlotte, tandis que M. Arnold terminait complaisamment le service.
Vers onze heures, on se quittait. Puis Raoul faisait une ronde furtive dans le jardin, et, prenant la barque, remontait le cours de la rivière et demeurait à l’affût, l’oreille tendue.
Un soir, le temps était si magnifique que les deux sœurs voulurent le rejoindre. La barque glissa sans bruit, à menus coups de rames qui laissaient tomber, avec un murmure frais, des gouttes d’eau. Un ciel d’étoiles versait une lueur confuse qu’un peu de lune naissante qui se levait quelque part, dans la brume de l’horizon, rendait peu à peu plus précise.
Ils gardaient le silence.
Au creux du défilé, les rames ne pouvant s’éployer, ils ne bougeaient presque pas. Puis il y eut comme un remous de la marée qui les fit voguer doucement et se balancer d’une rive à l’autre.
Raoul passa ses mains sur les mains des jeunes femmes et chuchota :
« Écoutez. »
Elles ne perçurent rien, mais éprouvèrent une certaine oppression comme à l’approche d’un péril qui ne s’annonçait ni dans le souffle égal de brise, ni dans l’apaisement de la nature. Raoul serrait davantage son étreinte. Il devait, lui, entendre ce qu’elles n’entendaient pas, et savoir qu’il y a des silences chargés de menaces. L’ennemi, s’il était en embuscade, les voyait, tandis qu’on ne pouvait scruter les pentes qui, de chaque côté, offraient tant de repaires invisibles.
« Allons-nous-en », dit-il en piquant l’un des avirons dans le talus de la berge.
Il était trop tard. Quelque chose s’écroula d’en