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Page:Maurras - Kiel et Tanger - 1914.djvu/160

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kiel et tanger



    à baisser chez les instltuteurs, M. Jean Tharaud en a fait un jour la remarque : « Il a suffi d’une dizaine d’années pour transformer radicalement la mentalité de nos maîtres d’école. De 1870 à 1895 environ, ils ont formé le groupe le plus patriote peut-être de la nation. On leur avait tant répété, dans leurs écoles normales, que c’était le maître d’école allemand qui avait vaincu en 1870, qu’ils s’étaient habitués à se considérer comme les préparateurs, les organisateurs de la revanche prochaine. Dix ans, vingt ans passèrent ; peu à peu, la guerre cessa d’apparaître comme possible, comme désirable. Ils finirent par se lasser de ce rôle d’annonciateurs d’un événement qui ne se réalisait jamais. En même temps, leur orgueil, exalté par une science pourtant médiocre, souffrait de la situation subalterne que leur faisait la Société.

    « Dégoûtés de prêcher la revanche, profondément humiliés et mécontents, ils étaient tout préparés à recevoir la foi socialiste. C’est vers 1895 que le mouvement de propagande révolutionnaire commença d’être conduit, parmi eux, avec un peu de vigueur. »

    Vers 1895. Cette date approximative est tout à fait juste. Je regrette que Jean Tharaud n’ait pas eu la curiosité de se demander en quoi cette année se distingua des précédentes et précipita les suivantes vers un ordre nouveau. Le sens de ce nombre fatal eût ajouté quelque chose à son analyse. Certes, il a bien raison de dire que l’enthousiasme patriotique des instituteurs (et des autres) a dû se refroidir faute d’aliment et que, la Revanche apparaissant moins prochaine, la guerre moins probable, on devait se lasser. Mais il est certain que, en 1895, cette lassitude rencontra une raison d’être précise et un motif qui put paraître décisif. C’était en 1895 que la Russie et la France s’étaient unies à l’Allemagne. C’était en 1895 que la flotte russe et la flotte française étaient venues fraterniser avec la flotte allemande dans les eaux de Kiel. C’était en 1895 que toute la fraction avancée, réfléchie et bruyante du gros public français avait compris que son gouvernement lui conseillait l’oubli de la « grande idée ».