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renée vivien

images naissent, et Frédéric Mistral écrit les admirables strophes de la branco dis aucèu :

« Toi, Seigneur, Dieu de ma patrie, qui naquis au milieu des pâtres, enflamme mes paroles et donne-moi du souffle. Tu le sais, parmi la verdure, au soleil et aux rosées, quand les figues mûrissent, vient l’homme avide comme un loup, dépouiller entièrement l’arbre de ses fruits.

Mais sur l’arbre dont il brise les rameaux, toi, toujours tu élèves quelque branche où l’homme insatiable ne puisse porter la main : belle pousse hâtive, et odorante, et virginale, beau fruit mûr à la Madeleine, où vient l’oiseau de l’air apaiser sa faim.

Moi, je la vois, cette petite branche, et sa fraîcheur provoque mes désirs ! Moi, je vois, au souffle des brises, s’agiter dans le ciel son feuillage et ses fruits immortels. Dieu beau, Dieu ami, sur les ailes de notre langue provençale, fais que je puisse aveindre la branche des oiseaux ! »


Voilà qui nous emporte loin de la pensée de Sapho. Appuyés sur Sapho ou, si l’on veut, nés de Sapho, ces vers nous la font oublier. Ils ne respirent plus que le cœur et que le génie de Mistral. Ce n’est point là du tout ce qu’a voulu faire Renée Vivien. Son dessein est mixte. Elle ne s’oublie pas devant son auteur. Mais non plus elle ne veut pas l’oublier.

Sa piété voudrait évoquer la personne historique, l’âme mystérieuse de Sapho, mais à condition de l’interpréter à son goût. Elle restitue donc le fragment qu’elle nous traduit, elle se l’interprète, elle en supplée pour elle-même les lacunes. Imaginez un beau marbre antique restauré avec passion par un artiste