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Essais de sociologie

toujours imprégné de biologie abstraite. Il ne faut pas non plus qu’il réveille la métaphore de l’organisme social. Enfin s’il exprime bien l’idée de la vie et du mouvement des hommes en sociétés, en réalité la physiologie des mœurs, des pratiques, des actes et des courants sociaux, il a le tort de ne pas exprimer clairement ce qu’il y a de conscient, de sentimental, d’idéal, de volontaire et d’arbitraire dans les poussées et dans les traditions de ces collectivités d’hommes que sont les sociétés.

Il serait facile de parler ici de psychologie collective au lieu de physiologie sociale. À un point de vue même ce serait un progrès. Car cette expression ferait bien sentir que toute cette partie de la sociologie est d’essence psychologique, que tout s’y traduit en termes de conscience, de psychologie si l’on veut dire — à condition que l’on comprît bien que celles-ci forment des communautés de conscience, qu’elles sont des consciences vivant en commun, dirigeant une action commune, formant entre elles un milieu commun. Voilà ce qu’on peut entendre par psychologie sociale. Seulement alors, si l’on y réduisait toute la physiologie sociale, toute la partie matérielle des faits de physiologie disparaîtrait de l’horizon : la transformation des idées et sentiments en actes et mouvements des individus, leur perpétuation en objets fabriqués, etc., leur fréquence elle-même. Et toute la recherche serait faussée. En effet, on laisserait échapper ainsi à la considération les deux caractéristiques par lesquelles tout fait social se distingue des faits de psychologie individuelle : 1. qu’il est statistique et nombré (nous répétons cette observation et y reviendrons encore) étant commun à des nombres déterminés d’hommes pendant des temps déterminés ; et, 2. (ce qui est inclus) qu’il est historique. Car à propos de ce dernier signe, il faut bien spécifier que tout fait social est un moment d’une histoire d’un groupe d’hommes, qu’il est fin et commencement d’une ou plusieurs séries. Disons donc simplement : tout fait social, y compris les actes de conscience, est un fait de vie. Le terme de physiologie est compréhensif ; il ne préjuge rien ; gardons-le.

D’ailleurs, de même que nous avons essayé de purger de toute mixture biologique le terme de physiologie, de même nous essayons de préserver cette division de la physiologie sociale elle-même, entre physiologie des actes collectifs et physiologie des représentations collectives ; essayons de la dégager de toute compromission psychologique. Même en psychologie, la classi-