Page:Mechnikoff - La civilisation et les grands fleuves historiques.djvu/256

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dans ses termes extrêmes, et dans les conditions les plus difficiles. Pour qu’il y eût une Égypte et une histoire universelle, il fallait un « Dispensateur du Nil », mais cette nécessité est d’ordre purement psychologique. Le meilleur des pharaons ne pouvait rien ajouter à la faculté d’adaptation du peuple appelé à vivre dans ce milieu, pas plus que la couleur éclatante d’un drapeau n’augmente la force physique des combattants. Comme tous les symboles et les fétiches, le roi n’avait d’autre vertu que celle à lui prêtée par ceux qui le façonnaient. Il ne pouvait être ni le plus fort, ni le plus sage, ni le plus habile des hommes, car, devant l’insondable « Mystère du Nil », tous étaient également impuissants et aveugles. À entendre M. Marius Fontane, le pharaon, du moins, dépassait les autres Égyptiens par son astuce et ses ruses : « Tandis que « les sujets » pouvaient, nous dit-il[1], croire que le « maître » savait les mystères du fleuve, le souverain, lui, n’ignorait pas sa propre ignorance, et, pressentant une puissance supérieure à la sienne, l’orgueil du pouvoir ne l’aveuglait pas. » La suggestion est ingénieuse, mais elle me paraît inadmissible : pour jouer un rôle honorable dans le panthéon de l’histoire, il faut avoir été sa propre dupe. D’ailleurs l’auteur des Égyptes ne se contredit-il point en écrivant plus loin : « Il ne semble pas que, dans l’histoire des hommes, on puisse citer une divinité plus noblement adorée

  1. Histoire universelle. — Les Égyptes, t. I.