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les innovations spécifiques.

En matière de morphologie, il y a de même des tendances spécifiques, et il en résulte à la fois des pertes et des innovations.

Il y a plusieurs langues indo-européennes où s’est perdue la distinction des genres grammaticaux. Sans doute cette distinction ne répond plus à rien dans la mentalité des hommes civilisés depuis des siècles. Mais elle survit dans les langues romanes, en allemand, en slave, etc. où, à défaut de valeur sémantique, elle tient une place importante parmi les procédés grammaticaux. On ne voit pas qu’elle avait plus de raisons de disparaître en arménien — où la distinction des thèmes en -o- et des thèmes en -ō- s’est maintenue dans la déclinaison des substantifs — qu’en allemand par exemple. Or, l’arménien n’en a aucune trace. Il y a vraiment ici tendance spécifique ; car, dans l’iranien occidental, qui est voisin, la distinction des genres s’est également abolie. Et il n’est pas fortuit que, ni en élamite, ni dans le caucasique du Sud, qui sont les langues voisines, il n’y ait pas non plus de différences de genre. L’action du substrat se manifeste ici par la disparition d’une catégorie grammaticale.

Malgré la richesse de sa flexion nominale, le letto-lituanien a perdu la distinction du masculin et du neutre, alors que les formes qui servaient à exprimer le masculin et le neutre demeuraient nettement distinctes. Les finales -as et qui devaient en lituanien répondre à lat. -us et -um étaient claires. Or, dès le letto-lituanien, la distinction du masculin et du neutre — encore existante en vieux prussien à la fin du xive siècle — est abolie. Il y a ici une tendance spécifique, et il est permis de l’attribuer à des mélanges de populations de langue