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Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/308

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MÉPHISTOPHÉLA

enfant, elle ? non, non, non, c’était absurde, impossible ; tout son être se révoltait contre une fonction qui n’était pas la sienne ; ce rien, pas vivant encore, qui voulait vivre, elle l’empêcherait de naître, dût-elle, à coups de couteau, s’ouvrir et se déchirer les entrailles, dût-elle, tous les matins, pendant des mois, s’aplatir le ventre contre le mur ; et, enfin, ce n’était pas de sa faute si elle était comme elle était !

Mais cette misérable n’était pas totalement monstrueuse. Toujours un peu de lumière persiste dans les consciences les plus obscures. Après la folie des premiers effrois, elle recouvra la raison. Elle vit l’abjecte horreur du crime qu’elle avait conçu. Elle se sentit incapable de le commettre. Tout, même les flancs féconds plutôt que la suppression d’une vie même à peine vivante. Une fois pour toutes, elle écarta, d’une volonté indéfectible, l’exécrable tentation. Elle accepta le destin, la catastrophe : ; puisqu’elle était enceinte, elle serait mère, soit. Mais ce furent des jours, des semaines, des mois horribles. Elle ne sortait plus, rôdait silencieusement de chambre en chambre, s’asseyait, se levait, recommençait à marcher sans gestes ni paroles, toutes ses facultés immobilisées par l’obsession de l’idée fixe. Elle enfanterait ! Elle ne pensait qu’à cela, ne vivait que