Aller au contenu

Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/460

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
450
MÉPHISTOPHÉLA

par le seul fait qu’ils y participèrent, c’est le privilège des héros ou des monstres. Et ses criminels amusements laissaient à ses complices des rêveries, faisaient que, la nuit, tout à coup réveillées, elles considéraient l’ombre avec des yeux écarquillés. Elle ne s’inquiétait pas des remords qu’elle semait dans les âmes. Presqu’un an tout entier, elle se divertit de tant de jolies personnes affolées ; elle avait aux lèvres la fatuité de cent petites victoires, dont s’augmentait son diabolique triomphe. Et c’était charmant, toutes ces bouches pleines de baisers, qu’elle vidait en riant, comme on hume, au dessert, une liqueur des îles ou le tockay en de petits verres de Bohême ; très longtemps elle crut qu’elle n’avait jamais été aussi gaie ni aussi heureuse.

Elle s’ennuyait de plus en plus.

Aucun moyen de se cacher à elle-même cette vérité lugubre : l’ennui la hantait. Et ce n’était pas seulement durant la naturelle langueur des lendemains, qu’il se glissait, s’établissait en elle (à ces moments-là, il aurait pu n’être qu’une mélancolie des sens trop assouvis, des nerfs rompus, un reste de bonheur fatigué d’avoir été excessif) ; pendant même les plus affolantes obstinations du baiser, aux heures où, naguère, l’universelle vie se résumait pour elle dans le sur-