Aller au contenu

Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/542

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
532
MÉPHISTOPHÉLA

plus fort que tous les sentiments humains, à cause justement de ce qu’il a d’instinctif, de bestial même. En celles qui l’éprouvent il absorbe tous les désirs, toutes les pensées. Dès qu’une femme le connaît, elle ne sent plus que lui. Il n’est pas sujet aux différences, aux augmentations, aux affaiblissements ; tant qu’on vit, il ne meurt pas, parce qu’il est un besoin du corps autant qu’une passion de l’âme. Par lui, pour lui, on oublie — tout ! Oui, je pense que, dans les vivantes qu’il occupe, il ne laisserait même pas place aux mauvais souvenirs. Il est si jaloux qu’il ne laisse rien subsister qui ne soit lui-même ; il n’est pas une vertu, il est une nécessité physique, et, grâce à lui, on vit hors de soi.

— De grâce, quel est ce sentiment ? dit-elle.

— L’amour d’une femme pour une créature qu’elle a enfantée. Ce n’est pas vrai qu’après la naissance, l’enfant ne tient plus à la mère. Rien ne rompt la génésique attache ; l’enfant toujours se relie aux entrailles maternelles. Mais vous, madame, puisque vous avez vécu sans mari, sans amant…

Elle baissa la tête, plissa le front, comme si d’un effort elle regardait au lointain de sa vie, là-bas, là-bas, dans de l’ombre. Elle pensait. Elle releva la tête.

— J’ai un enfant, dit-elle.

Il s’étonnait.