Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/163

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près le coucher du soleil, porter toute la chaleur du jour & tomber épuisés, implorant en vain une parcelle des biens qu’ils ont fait naître. Étoit-il une destinée plus affreuse, plus accablante, que celle de ces cultivateurs en sous-ordre, qui ne voyoient après leur labeur que de nouvelles fatigues, & qui remplissoient de gémissemens l’étroit & court espace de leur vie ! Quel esclavage n’étoit pas préférable à cette lutte éternelle contre les vils tyrans qui venoient piller leurs foyers en imposant des tributs à l’indigence la plus extrême ! Cet excès de mépris affoiblissoit en eux le sentiment même du désespoir ; & dans sa déplorable condition, le paysan accablé, avili, en traçant un dur sillon, courboit la tête & ne se distinguoit plus de son bœuf.

Nos campagnes fertilisées retentissent de chants d’allégresse. Chaque père de famille donne l’exemple. La tâche est modérée, & dès qu’elle est finie la joie recommence : des intervalles de repos rendent le zèle plus actif ; il est toujours entretenu par des jeux & des danses champêtres. On alloit autrefois chercher le plaisir dans les villes ; on va aujourd’hui le trouver dans les villages, on n’y voit que des visages rians. Le travail n’a plus cet aspect hideux & révoltant, parce qu’il ne semble plus le partage des esclaves. Une voix douce invite au devoir, & tout devient facile, aisé, même agréable. Enfin,