Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Alors nâquit l’ancien proverbe : on ne peut entrer à l’Académie sans équipage.

Les gens de lettres désespérés, & ne sachant comment rentrer dans leur domaine usurpé, conspirèrent en forme : ils se servirent de leurs armes ordinaires, épigrammes, chansons, vaudevilles[1] ; ils épuisèrent toutes les fléches du carquois de la satyre : mais, hélas ! tous leurs traits devinrent impuissans. Le calus étoit tellement formé sur les cœurs, qu’ils n’étoient plus sensibles, même aux traits perçans du ridicule. Mrs les auteurs auroient perdu leurs bons mots, sans le secours d’une grave indigestion qui surprit un jour les académiciens rassemblés à un festin splendide. Apollon, Plutus, & le dieu qui fait digérer, sont trois divinités brouillées ensemble. L’indigestion les accablant au double titre de financiers & d’académiciens, ils en moururent presque tous. Les gens de lettres rentrèrent dans leur ancien domaine, & l’Académie fut sauvée…

Il s’éleva dans l’assemblée un éclat de rire universel. Quelqu’un vint me demander à l’oreille si la relation étoit exacte ? Oui, lui dis-je, à peu de chose près. Mais quand

  1. Pauvres armes ! qu’on leur interdit encore, & que l’insolent orgueil des grands tout à la fois appelle & redoute.