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QUATRE CENT QUARANTE.

En sortant la foule m’environnoit encore, mais les regards de la multitude n’avoient rien de railleur, rien d’insultant ; seulement on bourdonnoit de tout côté à mes oreilles : voila l’homme qui a sept cents ans ! Qu’il a dû être malheureux pendant les premieres années de sa vie[1] !

J’étois étonné de trouver tant de propreté et si peu d’embarras dans les rues, on eût dit de la Fête-Dieu. La ville paroissoit cependant extraordinairement peuplée.

    un pareil homme à son service. Que pensera en lisant ceci le jeune drôle qui se laisse chausser, riant en lui-même d’avoir encore trouvé un pauvre ouvrier à tromper ; il méprise l’homme qui lui met des souliers aux pieds & qu’il ne paye point, & court prodiguer l’or dans les aziles de la débauche & du crime. Que la bassesse de son ame n’est-elle gravée sur son front, sur ce front qui ne rougit pas de se détourner à chaque coin de rue pour éviter l’œil d’un créancier ! Si tous ceux auxquels il doit les vêtemens qu’il porte l’arrêtoient dans un carrefour, & reprenoient ce qui leur appartient, que lui resteroit-il pour se couvrir ? Je voudrois que sur le pavé de Paris chaque homme vêtu d’un habit au-dessus de son état fût forcé, sous des peines sévères, de porter dans sa poche la quittance de son tailleur.

  1. Celui qui a en main la milice d’un État, celui qui a en main les finances, est despote dans toute la force du terme, & s’il n’achève pas de tout courber, c’est qu’il ne convient pas toujours à ses intérêts d’user de sa toute-puissance.