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L’AN DEUX MILLE

Il y avoit dans chaque rue un garde qui veilloit à l’ordre public ; il dirigeoit la marche des voitures & celle des hommes chargés ; il ouvroit surtout un libre passage à ces derniers, dont le fardeau étoit toujours proportionné à leurs forces.

On ne voyoit point un malheureux haletant, tout en sueur, l’œil rouge & la tête comprimée, gémir sous un poids qui n’étoit fait que pour une bête de somme chez un peuple humain : le riche ne se jouoit point de l’humanité moyennant quelques pièces de monnoye. On voyoit encore moins un sexe délicat & foible, né pour remplir des devoirs plus doux & plus heureux, attrister les regards des passans en se métamorphosant en porte-faix : on ne le voyoit point dans les marchés publics forcer à chaque pas la nature, & accuser la barbare insensibilité des hommes, tranquilles spectateurs de leurs travaux. Rendues aux devoirs de leur état, les femmes remplissoient l’unique soin que leur imposa le créateur, celui de faire des enfans, et de consoler ceux qui les environnent des peines de la vie.