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L’AN DEUX MILLE

à la portière, & se lamentoit de ne pouvoir avancer[1].

Le plus grand peuple formoit une circulation libre, aisée & pleine d’ordre. Je rencontrai cent charettes chargées de denrées ou de meubles, pour un seul carosse, encore ce carosse trainoit-il un homme qui me parut infirme. Que sont devenues, dis-je, ces brillantes voitures élégamment dorées, peintes, vernissées, qui de mon tems remplissoient les rues de Paris ? Vous n’avez donc ici ni traitans, ni courtisannes[2], ni petits-maîtres ? Jadis ces trois misérables espèces insultoient au public, & sembloient jouer à l’envi l’une de l’autre à qui auroit l’avantage d’épouvanter l’honnête bourgeois qui fuyoit à grands pas, de peur d’expirer sous la roue de leur char. Nos seigneurs prenoient le pavé de Paris pour la lice des jeux olympiques, & mettoient leur gloire à cre-

  1. Rien de plus comique que de voir sur un pont une file de carosses qui s’embarassent les uns dans les autres. Les maîtres regardent & s’impatientent, les cochers se lèvent sur leurs sièges & jurent. Ce coup d’œil venge un peu les malheureux piétons.
  2. On a vu six chevaux magnifiquement enharnachés ; ils étoient attelés à un carosse superbe : on se rangeoit en deux hayes pour le voir passer. Les artisans ôtoient leur bonnet, & c’étoit une catin qu’ils avoient saluée.