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Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/104

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fendait une vague, une pluie d’écume arrosait les nègres. Alors, la voix impérieuse et rauque de Sémiramis criait :

« Hardi là ! ramin, ramin for ! »

Il s’agissait pour la vieille négresse de sauver d’abord son fils, ensuite Saint-Ybars le chef d’une grande famille et son enfant. De temps en temps elle se levait pour mieux voir. Salvador la reconnut. Le courage et le dévouement de sa vieille mère agirent sur lui comme un cordial. Malgré tous les efforts qu’il avait déjà faits, il rama avec plus d’énergie. Saint-Ybars s’en réjouit. Ils approchaient. Il n’y avait plus qu’une chose à faire, c’était que Démon se laissât dériver : on le recueillait, et tous trois ensemble on fuyait le sycomore. Mais Démon, dans son chagrin désespéré, ne voulait pas cela ; il eût préféré cacher sa honte au fond du Mississippi. Il redoubla de vigueur, lui aussi. Il n’avait plus que quelques coups d’aviron à donner, pour sortir du courant central, lorsqu’une grosse vague souleva son esquif comme une plume. Quand elle s’abaissa, l’esquif continua de monter dans l’air ; il était pris dans les racines du sycomore.

Démon ne perdit pas sa présence d’esprit : s’il restait dans l’esquif, ou celui-ci l’entraînait sous l’eau, ou ils étaient précipités ensemble, en tournant, d’une hauteur de sept à huit mètres, au risque pour Démon de se fracturer un membre. Il sortit de l’embarcation, se mit à califourchon sur une des branches de la racine, et gagna rapidement l’extrémité. Là, il attendit. Le mouvement rotatoire du sycomore s’arrêta ; mais le mouvement de bascule continuait ; Démon était alternativement soulevé dans l’air et plongé dans l’eau.

Salvador sortit enfin du courant central, et entra dans un contre-courant qui le poussait vers Démon.

L’arbre se remit à tourner. L’esquif et les avirons tombèrent avec fracas ; Démon montait dans l’air comme un brin de paille collé à une roue.

Saint-Ybars frémit.

« Démon, mon fils, mon enfant chéri, cria-t-il, je t’en supplie, jette-toi à la nage, viens à nous. »