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Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/106

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« Démon, cher enfant, ajouta-t-il à demi-voix, pardonne à ton père, embrasse-moi ; nous allons nous séparer.

« Mon père, répondit Démon, un fils n’a pas à pardonner ; il aime son père, il oublie ; je veux mourir avec vous.

« Démon, obéis, reprit Saint-Ybars d’une voix haletante, songe à ta mère, à tes frères, à tes sœurs. »

Il n’en put dire davantage, il enfonçait, il étouffait ; il saisit Démon des deux mains et leva les bras, pour le tenir au-dessus de l’eau. Il nageait encore des pieds, pour descendre aussi lentement que possible, afin de donner à Salvador le temps de venir.

Au cri de Saint-Ybars, Salvador s’était précipité dans le fleuve. Il nageait comme un phoque. Démon, lâché par son père, avait à peine assez de force pour se maintenir à la surface. Salvador le saisit à temps, et le mit à cheval sur ses reins. À peine cela était-il fait, qu’ils entendirent un choc violent ; une grosse vague qui était devant eux, s’entr’ouvrit en écumant, la chaloupe bondit à leur rencontre.

Salvador, gardant toujours son sang-froid, cria :

« Que chacun reste à son poste. »

Il saisit la lisse de sa main de fer, et dit à Démon :

« Peux-tu entrer tout seul ?

« Oui.

« Entre. »

Démon entra.

« Maintenant, ajouta Salvador, regardez partout. »

Saint-Ybars avait essayé, dans un suprême effort, de remonter à la surface. Ses mains et la moitié de ses bras s’agitèrent hors de l’eau ; ses mouvements étaient moins ceux d’un nageur que d’un agonisant.

« Hourra ! cria un nègre, alà li, là, là !

« Je vois, dit Salvador ; suivez-moi. »

Avant qu’il eût franchi la moitié de la distance qui le séparait de Saint-Ybars, celui-ci était saisi par le courant central et dérivait rapidement. Salvador entra, lui aussi, dans le grand courant. Il coupait l’eau avec tant de vigueur et filait avec tant de vitesse, que personne ne