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Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/137

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Titia avait quelquefois parlé à Lagniape des déclarations amoureuses de M. de Lauzun. Après la mort de la jeune femme, ses confidences revinrent à l’esprit de la vieille. L’évanouissement de M. le duc à la vue du cadavre de Titia, se présentait souvent à la pensée de Lagniape comme un fait encore inexpliqué. Les allures de M. de Lauzun, après le tragique événement du puits, donnèrent plus de consistance aux soupçons naissants de Lagniape. Naturellement superstitieux et poltron, la mort de sa victime le jeta dans des transes continuelles. Il croyait aux revenants ; au seul mot de cimetière ou de fantôme, il avait des sueurs froides. Maintenant, il ne pouvait plus rester seul, surtout le soir ; il se faisait accompagner partout du petit nègre qu’il avait attaché à son service ; il le faisait coucher dans sa chambre. La vue de l’eau lui causait des terreurs subites ; la tête de Titia montait à la surface, et le regardait avec ses grands yeux clairs et froids. Elle le poursuivait dans ses rêves ; il se réveillait en sursaut, ruisselant et glacé ; il appelait Windsor, et lui demandait s’il n’avait rien vu, rien entendu. Il n’allait plus à la chasse, craignant de rencontrer le spectre de Titia dans la demi-obscurité des bois.

Un jour M. de Lauzun, pour répondre à un appel de Saint-Ybars, eut à traverser le salon. Les portes pleines étant entre-baillées et les rideaux tirés, la pièce était pleine d’ombre. Un guéridon occupait le centre. M. le duc eut une hallucination. Il s’arrêta tout tremblant. Le guéridon remuait, s’élargissait ; un trou noir se creusait au milieu. Ce n’était plus une table que M. de Lauzun avait devant lui, c’était un puits. Il entendit l’eau qui remuait. Titia, pâle et raide, monta toute droite du fond du puits, tenant Blanchette dans ses bras, et resta suspendue dans l’air, au-dessus du rond béant.

M. de Lauzun tomba sur ses genoux, et dit entre quatre ou cinq hoquets :

« Grâce, Titia ! je vous donne ma parole d’honneur la plus sacrée que je ne dirai rien. »

Titia inclina la tête, et d’une voix éteinte :