Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/15

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« Bref, on en demande deux mille piastres : soit ; je l’emmène. Je reviens dans une heure ; nous réglerons les deux affaires en même temps. »

Le détail de mœurs dont le jeune étranger venait d’être témoin, l’avait fortement impressionné. Mais la scène de vente devait être suivie d’un épisode auquel personne ne s’attendait, et qui allait émouvoir tous les assistants, lui plus que tout autre.

Une négresse qui était près de la porte du fond, se pencha dans la pénombre, et murmura quelques mots à la hâte.

Un être étrange, qui semblait sortir de dessous terre, entra en glissant et en rampant. C’était une vieille mulâtresse cul-de-jatte. Pour avancer elle s’appuyait sur ses bras dont l’un était plus court que l’autre, tandis que ses petites jambes, tortueuses et ratatinées, s’allongeaient alternativement en frottant le plancher. Elle était de nuance claire et avait les yeux bleus. Un tignon à l’ancienne mode cachait entièrement ses cheveux, et s’épanouissait autour de son front et de ses tempes comme un éventail largement ouvert. Son vêtement se composait d’un gilet de peau en flanelle, d’une veste de cotonnade bleue avec de grandes poches, et d’un pantalon en cotonnade renforcé extérieurement de cuir à tous les endroits qui étaient en contact avec le sol. Elle avait une expression douce et intelligente ; malgré ses rides et plusieurs dents de devant qui lui manquaient, on entrevoyait qu’elle avait pu être bien de figure aux jours de sa jeunesse.

La fille de Saint-Ybars eut peur ; ses yeux n’étaient pas familiarisés avec les difformités humaines ; tremblante et pâle, elle se colla au corps de son père.

La vieille étendit ses bras maigres, et s’écria d’un ton lamentable :

« Monsieur Saint-Ybars, cher maître, miséricorde ! n’emmenez pas cette jeune femme sans moi ; elle est la fille de ma fille, elle est la consolation de ma vieillesse. Sa mère qui était belle comme elle, est morte à dix-huit ans ; c’est moi qui l’ai élevée. Il peut vous paraître étrange, Monsieur,