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Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/17

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une jeunesse dissipée, vous vous êtes fait ministre protestant, comme on se fait joueur ou politicien. La religion ne vous enrichissant pas, vous l’avez mise de côté, pour vous faire marchand d’esclaves. M. Stoval, vous irez loin : une voix me dit qu’au bout du chemin où vous marchez, il y a un crime et une potence qui vous attendent.

« C’est toi, vieille guenon, répondit Stoval en haussant les épaules, que ton insolence fera pendre un de ces quatre matins. »

L’infirme se tournant vers Saint-Ybars, lui dit :

« Je parle au gentilhomme, au louisianais, au maître né sous le même ciel que moi humble esclave. M. Saint-Ybars, vous avez dans votre enfance, comme tous les fils de famille, joué avec vos petits serviteurs ; ils ont grandi avec vous, vous avez de l’affection pour eux. J’implore avec confiance le créole généreux. Achetez-moi, Monsieur ; mes maîtres m’ont autorisée à m’offrir à la personne qui achèterait ma petite fille. M. Stoval le sait bien, c’est par méchanceté qu’il fait celui qui ne le sait pas. Monsieur, toute vieille, toute difforme que je suis, je puis être utile. J’ai été élevée par un bon maître ; c’était un homme distingué ; il vint ici après les désastres de St-Domingue, et fut l’ami de votre père. Son nom vous est connu, j’en suis sûre ; c’était M. Moreau des Jardets. Il m’apprit à lire et à écrire. Tous les matins je lui lisais son journal ; je prenais copie de ses lettres. Depuis trente ans, je conserve, comme une relique, un petit livre qu’il aimait plus que les autres. Voyez, Monsieur, vous trouverez son nom écrit de sa main au bas de la première et de la dernière page ; c’était son habitude, à ce cher et vénérable homme, de mettre ainsi son nom au commencement et à la fin de ses livres. »

Titia prit des mains de sa grand’mère un petit volume que la vieille venait de tirer d’une poche faite exprès pour lui, et le remit à Saint-Ybars. C’était un in-18, qui avait pour titre : Pensées de Sénèque. Saint-Ybars ouvrit au hasard ; ses yeux rencontrèrent ce passage :

« Cet homme que vous appelez votre esclave, oubliez-