Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/18

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vous qu’il est formé des mêmes éléments que vous ? qu’il jouit du même ciel, qu’il respire le même air, qu’il vit et meurt comme vous ? Traitez votre inférieur comme vous voudriez l’être par votre supérieur. Ne pensez jamais à vos droits sur un esclave, sans songer à ceux qu’un maître aurait sur vous. »

Les traits austères et dominateurs de Saint-Ybars s’adoucirent. La vieille mulâtresse prit courage.

« Monsieur Saint-Ybarrs, dit-elle, votre bon cœur vous dit de m’emmener ; écoutez-le. »

Saint-Ybars fit un geste d’assentiment.

« Combien en demandez-vous ? dit-il à Stoval.

« Ce que j’en demande ? répondit le marchand ; pshaw ! je demaqnde qu’on m’en débarrasse : prenez-la pour la gniape.

« Au fait, remarqua l’infirme, M. Stoval gagne une assez jolie commission sur ma petite-fille, pour pouvoir me donner par-dessus le marché. »

Saint-Ybars fit signe à Fergus et à Titia de le suivre, et dit à la vieille :

« Je repars ce soir, à cinq heures, sur le steamboat Océola ; trouvez-vous-y, c’est votre affaire.

« Oh ! soyez tranquille, Monsieur, j’y serai, répondit la vieille ; défunt M. Moreau des Jardets avait coutume de dire, en parlant de moi : ― Elle est comme la Justice ; elle arrive lentement, mais enfin elle arrive. »

Fergus se laissa aller à son gros rire, et dit à l’infirme :

« Ça cé kichoge ki vrai ; la jistice épi vou cé comme torti dan conte : torti-là rivé coté bite avan comper chivreil, é li marié mamzel Calinda. Mo parié va rivé coté stimbotte-là divan nouzotte. Adié jica tanto, pove vieu Lagniape. Pa faché, non, si mo hélé vou comme ça ; lagniape cé kichoge ki bon. »

Ce sobriquet donné ainsi en riant par Fergus à la vieille mulâtresse, fut répété plus tard sur l’habitation de Saint-Ybars ; on s’habitua à appeler le cul-de-jatte Lagniape, et ce nom lui resta définitivement. Appliquant dès à présent à l’infirme son nouveau nom, nous dirons que