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Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/223

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fille morte. Elle était couchée sur un matelas, et couverte d’une courte-pointe blanche ; la mère et les sœurs l’accompagnaient. Le temps était calme ; l’eau du fleuve était presque aussi unie que celle d’un lac quand il n’y a pas de vent ; l’esquif glissait facilement sur une surface dorée, et s’éloignait avec rapidité.

Pélasge était seul, sur le balcon de cette maison où la mort avait moissonné cinq personnes en moins de trente heures ; il suivait des yeux l’embarcation lointaine, écoutant, dans une sorte de stupeur, le bruit cadencé et de plus en plus sourd des rames. Appuyé à une colonne, il resta à la même place longtemps après que le canot eut disparu dans l’ombre de la rive opposée. La brise du soir commença à souffler ; elle devint forte ; elle gémissait dans les fentes des portes ; on eût dit une plainte se mettant à l’unisson de la tristesse de Pélasge. Il revint à lui comme s’il eût entendu la voix compatissante d’un ami. Il rentra ; il était déjà nuit. Il descendit. Il y avait de la lumière dans la chambre de Blanchette ; ce qui l’étonna. Il poussa doucement la porte. Parmi les objets éclairés par la lampe, était un canapé sur lequel étaient posées la dernière robe portée par Blanchette et ses bottines en peau de chèvre. Immobile en face de ces objets, Lagniape les regardait et pleurait.

Pélasge eut un serrement de cœur ; il s’avança et tendit affectueusement sa main à la vieille.

« Ma bonne Lagniape, dit-il, nous voici bien seuls ! de cette nombreuse et brillante famille des Saint-Ybars, il ne reste plus personne ; maîtres, enfants, domestiques, tous morts ou dispersés. Pour parler d’eux il n’y a plus que vous et moi, une ancienne esclave et un étranger. Ainsi vont les choses de ce monde. Croyez donc au bonheur ! comptez donc sur le lendemain !….Lagniape, quelles sont vos intentions ? où voulez-vous aller ? est-il un service que je puisse vous rendre ?

« Hélas ! mon cher Monsieur, répondit Lagniape, que voulez-vous que fasse une infirme octogénaire comme moi ? accordez-moi, je vous prie, un petit coin sur votre