Aller au contenu

Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/224

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ferme, où je puisse attendre tranquillement la mort ; elle ne peut tarder à venir maintenant.

« Vous aurez ce que vous désirez, Lagniape ; rien ne vous manquera.

« Merci, M. Pélasge ; vous êtes un homme généreux ; vous me rappelez mon premier maître, M. Moreau des Jardets. »

Dès le lendemain Lagniape s’établissait sur la ferme. Livia venait souvent la voir. Le bon sens, l’esprit d’ordre et d’économie de cette jeune femme attirèrent l’attention de Pélasge ; il l’employa dans son magasin. Elle s’acquitta si bien de sa besogne, qu’il lui proposa de prendre entièrement la direction de son commerce. Il était fatigué de ce métier qui consiste à acheter pour revendre, et à mettre de l’argent de côté. De l’argent, il en avait plus qu’il ne lui en fallait avec ses goûts simples et ses habitudes de sobriété. Livia le remplaça si bien que les affaires continuèrent de marcher comme s’il n’y avait pas eu le moindre changement. Alors, Pélasge commença une nouvelle vie ; elle se partageait entre ses livres et ses visites au vieux sachem. Tous les jours, quand le soleil approchait de son coucher, il sortait de son cabinet de travail et se rendait à pied sous l’arbre vénérable. Là, il passait deux ou trois heures, quelquefois davantage, plongé dans des souvenirs et des méditations où il trouvait, non pas le bonheur, mais du moins la tranquillité. Il revoyait en esprit les personnes qu’il avait le plus aimées en Louisiane, Chant-d’Oisel, Démon, Blanchette, Mamrie et Vieumaite. Il n’était plus l’homme du présent, il vivait tout entier dans le passé. Il s’éloignait toujours avec regret du vieux chêne ; quand il sortait de son ombre silencieuse, les étoiles brillaient depuis longtemps.

Quelquefois Pélasge causait avec Lagniape ; mais ce n’était que pour parler de personnes et de choses qui n’étaient plus. Lagniape elle-même vint à lui manquer ; la mort pensa enfin à la pauvre vieille infirme, et lui fit la grâce de l’enlever. Alors, Pélasge se trouva absolument seul. Ses repas lui étaient servis par une vieille négresse