que les cavaliers s’approchèrent, il distingua un vieillard suivi d’un jeune nègre. Quand ils furent arrivés, le jeune nègre sauta à terre avec la souplesse d’une panthère, et alla tenir le cheval de son maître ; le vieillard descendit plus prestement que n’eussent fait beaucoup d’hommes moins âgés que lui. Saint-Ybars accourut, embrassa le vieillard, et ces paroles arrivèrent aux oreilles de Pélasge :
« Mon père, comment vous portez-vous ?
« Très bien, mon fils ; toi aussi, à ce que je vois. Et Chant-d’Oisel !
« Parfaitement. J’ai encore fait une folie pour elle.
« Ah ! qu’est-ce donc ?
« J’ai acheté une jeune femme dont elle avait envie.
« Tu as bien fait, mon fils ; il faut, autant qu’on peut, rendre les enfants heureux ; on ne sait pas ce que l’avenir leur réserve ; une satisfaction accordée à une fillette par son père, même au prix d’un excès de complaisance, c’est autant de gagné pour elle dans cette partie d’échecs que tous, jeunes ou vieux, nous jouons avec le sort.
« Je crois, continua Saint-Ybars, que j’ai eu la main heureuse pour Démon ; j’ai trouvé un jeune professeur qui paraît très bien.
« Tant mieux, mon fils, mille fois tant mieux ; Démon est terriblement en retard ! espérons que le nouveau précepteur saura lui faire rattraper le temps perdu. Ton Monsieur Héhé, n’en déplaise à cousine Pulchérie, est, avec toute son érudition, un maladroit qui n’a jamais su… »
Pélasge n’entendit pas la fin de la phrase ; le vieux Saint-Ybars et son fils avançaient tout en parlant ; leurs paroles se perdirent sous la galerie. Quand leurs pas retentirent sur l’escalier, qui conduisait du rez-de-chaussée à la galerie d’en haut, il alla au-devant d’eux et salua le vieillard. Cette marque empressée de déférence fut une heureuse inspiration ; elle plut beaucoup à Saint-Ybars, et non moins à son père.
Sur l’habitation on appelait le père de Saint-Ybars vieux maître, ou comme disaient les nègres en un seul mot Vieumaite ; nous le nommerons de la même manière.