Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/42

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nouveau-nés, lorsqu’elle eut plusieurs frissons, à la suite despuels elle éprouva des douleurs aiguës aux deux seins. Une nuit, malgré tout son courage, elle ne put supporter l’atroce torture qu’elle éprouvait toutes les fois qu’elle voulait apaiser la soif des enfants. Mamrie couchait dans une chambre voisine de celle de sa maîtresse ; l’entendant se plaindre, elle se leva, prit les jumeaux, et s’assit dans une berceuse pour les dodiner. Elle finit par s’assoupir. Le laisser-aller du sommeil lui fit prendre une attitude si penchée, que l’extrémité de son sein droit se trouva en contact avec les lèvres du petit garçon. Mamrie rêvait ; elle se voyait dans le jardin, assise au pied d’un arbre : son enfant n’était pas mort, et elle goûtait cette sainte et douce sensation qu’éprouve une mère qui allaite son enfant. Elle en ressentit une joie si vive qu’elle se réveilla. Quel ne fut pas son étonnement en voyant, à la lueur de la veilleuse, une petite bouche rosée fortement appliquée à sa poitrine ! La petite fille s’étant mise à crier, elle lui donna l’autre sein qui ne fut pas refusé.

Mme Saint-Ybars était la marraine de Mamrie.

La jeune esclave appela sa maîtresse, et lui dit :

« Hé ! nénaine, ga : vous piti apé tété moin.

« Tu as donc encore du lait ! demanda Mme Saint-Ybars.

« Fo croi mo gagnin ancor ain ti goutte. Mo réponne yapé tiré for.

« Pour sûr tu en as, Mamrie, puisque les enfants ne crient plus. »

Les jumeaux satisfaits s’endormirent dans les bras de la jeune négresse, qui elle-même s’abandonna au sommeil.

Mme Saint-Ybars, atteinte d’abcès multiples, dut renoncer au bonheur d’allaiter ses jumeaux. Mamrie la remplaça. Le lait de l’esclave revint en abondance : on vit renaître sa santé et sa gaîté. Elle s’attacha à ses nourrissons ; elle les aima comme s’ils eussent été ses propres enfants. Cependant on remarqua, dès le commencement, qu’elle avait une préférence pour le petit garçon.

Mamrie avait toujours été une des domestiques les plus gâtées par Mme Saint-Ybars ; alors, elle le fut plus que