Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/43

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jamais ; elle fit, pour ainsi dire, partie intégrante de la famille, à tel point qu’en parlant des jumeaux on s’habitua à dire les enfants de Mamrie. Mme Saint-Ybars elle-même lui disait, le matin : « Tes enfants ont-ils passé une bonne nuit ? »

Le nom primitif de cette jeune femme était Marie. Quand les jumeaux commencèrent à parler, on voulut leur apprendre à l’appeler maman Marie ; mais l’un et l’autre, comme par un accord tacite, transformèrent maman Marie en Mamrie, et ce nom resta à leur nourrice.

À mesure que les jumeaux grandirent, on vit s’accentuer davantage la préférence de Mamrie pour Démon. Loin d’en être jalouse, Chant-d’Oisel trouvait naturel qu’il en fût ainsi ; son frère étant l’être qu’elle aimait le plus au monde, elle pensait qu’il était juste qu’il occupât la première place dans le cœur de leur nourrice.

De jour où Mamrie avait commencé à aimer Démon, une révolution extraordinaire s’était opérée en elle ; les hommes lui étaient devenus complètement indifférents. Jolie, bien faite, d’un caractère charmant, elle avait plu, dès l’âge de douze ans, à l’un de ces modestes habitants que l’on appelle petits blancs. C’était un Alsacien : sobre, laborieux, économe, sûr d’arriver à une honnête fortune, ne dépendant de personne, doué d’ailleurs d’un caractère ferme, il n’avait pas fait un mystère de son affection pour Mamrie. Comme il était bon et très doux, elle avait répondu à son attachement. Quand elle devint mère, il se présenta chez Saint-Ybars et lui offrit de l’acheter, elle et son enfant, son intention étant de les faire libres. Mamrie était une esclave de choix, elle devait coûter cher ; le petit blanc s’était attendu au prix élevé qu’on en demanda ; il fixa lui-même la date à laquelle il apporterait la somme convenue. Sur ces entrefaites, Démon et Chant-d’Oisel naquirent, et l’enfant de Mamrie mourut. Le petit blanc n’en persista pas moins dans son intention d’acheter la jeune esclave, pour en faire sa compagne. Mais les idées de Mamrie avaient changé ; elle lui déclara que pour rien au monde elle ne se séparerait de ses nourrissons, et que jamais