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Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/58

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quelque chose de distingué : il n’y a jamais eu personne de bête dans la famille des Saint-Ybars. »

Elle fit brusquement demi-tour à droit, et apostrophant deux négrillonnes qui regardaient Pélasge à la dérobée :

« Hé là-bas ! voiciféra-t-elle, ça vapé gardé comme ça ? cé vou louvrage ki fo gardé, ou sinon baleine cila a di kichoge à vou do, oui ! »

Miramis n’avait jamais eu qu’un enfant. Elle était déjà libre, quand son fils vint au monde. Comme elle aimait les noms ronflants, elle lui avait donné celui de Salvador. C’était un fort bel homme ce Salvador. Il était un peu plus âgé que Saint-Ybars. Quoique son teint fût celui des mulâtres, il avait les traits de la race blanche ; et, par un de ces effets curieux qui résultent parfois du mélange des divers sangs, il avait les cheveux et la barbe lisses. Qui était son père ? Miramis ne l’avait jamais dit à personne ; mais on avait toujours remarqué, en se parlant à l’oreille, qu’il ressemblait beaucoup au vieux Saint-Ybars vu du côté du soleil. Ce qu’il y a de certain, c’est que Vieumaite l’avait beaucoup gâté dans son enfance, et qu’il avait pris un soin particulier de son éducation. Salvador était le maître-charpentier de l’habitation ; en lui parlant on disait Monsieur. C’était un excellant homme, pacifique et complaisant. Doué d’une force herculéenne, il était porté par son bon naturel à protéger les faibles. On l’avait vu plus d’une fois se mettre entre sa mère et l’esclave qu’elle voulait châtier. Il aimait les enfants ; il consacrait ses heures perdues à leur fabriquer des jouets. Personne ne traitait les animaux avec plus de douceur que lui.

Quoique Salvador pensât bien différemment de sa mère sur les rapports entre maîtres et esclaves, il avait pour elle un grand amour et le plus profond respect.

Il y avait entre Saint-Ybars et Salvador deux manières d’être : devant le monde, chacun se tenait à la place que lui assignaient les convenances sociales ; dans l’intimité, ils se parlaient avec une familiarité affectueuse. Salvador savait, lui, qui était son père ; Saint-Ybars le savait aussi ; mais discrets, l’un autant que l’autre, ils