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Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/9

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pièce par des nègres, ceux de l’autre par des négresses ; quelques gens de couleur d’une nuance plus ou moins claire étaient mélangés avec ces noirs. À chaque pièce correspondait, sur le trottoir, un escalier de trois marches ; sur les degrés de l’un et de l’autre se tenaient debout quelques nègres et quelques négresses, tous dans la force de l’âge et paraissant jouir d’une excellente santé. À l’intérieur une porte à coulisse ouvrait une large communication de l’une à l’autre chambre. Au second plan, on voyait des pièces plus petites, peu éclairées ; puis, au-delà, une galerie donnant sur une cour au fond de laquelle étaient une cuisine et les dépendances.

Un homme de race blanche, grand et robuste, allait et venait de la chambre des hommes à celle des femmes, jetant de temps en temps un coup d’œil du côté de la rue, comme font les marchands qui attendent la pratique. Jeune encore, il avait déjà cette bouffissure des joues et ce teint violacé auquel on reconnaît des habitudes d’ivrognerie. On voyait qu’il avait dû être beau au commencement de l’âge viril. Il avait le regard intelligent mais dur. Par intervalle, il levait religieusement les yeux au ciel, comme pour implorer sa protection ; mais c’était moins par piété que par une sorte de tic que lui avaient laissé ses anciennes fonctions de ministre protestant ; car, il avait quitté l’état ecclésiastique depuis cinq ans, pour se faire marchand d’esclaves.

Le jeune étranger ralentit le pas, pour mieux voir ; mais il ne comprit pas d’abord ce qu’il voyait. Alors, s’adressant à une négresse qui venait à sa rencontre, il lui dit :

« Madame, je vous prie, qu’est-ce que cela ? »

La négresse s’entendant appeler Madame, se laissa aller à un de ces larges et joyeux rires particuliers à la race africaine, et dont l’européen ne peut se faire une idée avant de les avoir entendus ; puis, reprenant à demi son sérieux :

« Vou pa oua don, Michié ? répondit-elle ; cé nég pou vende. »

Elle s’aperçut qu’elle n’était pas comprise ; alors, elle