Page:Mercier - Le Nouveau Paris, 1900.djvu/64

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Tandis que les patriotes, les vrais braves qui venaient de renverser le trône, et d’asseoir sur ses débris la base de la liberté, retournaient dans leurs foyers, en chantant l’hymne de la victoire, en accompagnant religieusement les corps de leurs compagnons d’armes morts sur le champ d’honneur, des monstres à figure humaine se réunissaient par centaines sous le vestibule de l’escalier du midi, dansaient au milieu des flots de sang et de vin. Un bourreau jouait du violon à côté des cadavres ; et des voleurs, les poches pleines d’or, pendirent d’autres voleurs aux rampes.

Des milliers d’individus, tant hommes que femmes, plus menaçants, plus affreux les uns que les autres sous leurs haillons sanglants, inondaient les appartements. Les glaces tintaient sous les coups de baïonnettes qui les brisaient en éclats.

On arrive au lit de la reine. L’ivresse sans pudeur le rend le théâtre des plus infâmes obscénités. Le boudoir de la moderne Messaline devient aussi le rendez-vous des plus viles prostituées. On y voyait des scélérats, les uns éructant sur le sein de leurs maîtresses, les autres dormant parmi leurs larcins amoncelés.

L’incendie du palais de Priam ne présenta point un plus épouvantable désordre. Les escaliers résonnaient sous les pas précipités des filous, des escrocs qui montaient, qui descendaient, qui se croisaient, qui se heurtaient, qui couraient dans les corridors, pénétraient dans toutes les chambres : ils avaient déjà fracturé les secrétaires du roi, de la reine, de madame Élisabeth, des femmes de la cour. Assignats, or, argent monnayé, montres, bijoux, pierreries, diamants, écrins, tant d’objets précieux leur étaient aussitôt tombés en partage. Des manœuvres se promenaient hardiment dans la galerie avec des montres à chaînes de brillants. D’autres, voleurs de profession, dégalonnaient les habits des gens du roi, faisaient main basse sur la garde-robe, pillaient les étoffes, le linge, l’argenterie de table, les liqueurs, les bougies, les livres des bibliothèques, en un mot, tous les effets qui pouvaient s’emporter clandes-