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Page:Mercier - Tableau de Paris, tome III, 1782.djvu/70

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l’élevent en l’air : mais la difficulté est de l’assujettir, au milieu d’une foule emportée & rivale, qui déplace incessamment le vase où coule la liqueur ; les coups de poings tombent comme la grêle ; il y a plus de vin répandu sur le pavé que dans le broc ; celui qui n’a pas les larges épaules d’un porte-faix & qui n’est point entré dans la ligue, pourroit mourir de soif devant ces fontaines de vin, après s’être enflammé le gosier par la charcuterie.

La petite bourgeoisie, que la simple curiosité a amenée, s’écarte avec frayeur de ces hordes qui viennent de conquérir un seau de vin : elle craint d’être heurtée, renversée, foulée aux pieds ; car ces terribles conquérans vont revenir pour chasser leurs rivaux, & mettre à sec les futailles.

L’abjection & la misere, voilà les convives de ces fameux banquets ; voyez-les dévorer debout les cervelats qu’ils ont attrapés ; on diroit d’un peuple famélique, livré depuis un an aux horreurs de la disette, & à qui un nouvel Henri IV auroit envoyé du pain & du porc assaisonné.